3) La réunion place de la Mairie.

            Barthélemy arrive le premier sur la Place de la Mairie. Il attend un peu, appuyé avec son vélo, le long d’un poteau indicateur, tout en pédalant à l’envers.

Le village est apaisé après un jour qui a été assez chaud et les adultes commencent à apprécier le repos de la soirée. Les uns regardent encore les nouvelles à la télévision, les autres (surtout les femmes) essaient de faire coucher les plus jeunes qui ne veulent pas dormir. Il faut leur raconter une histoire et puis une autre, et cela sans fin.

            Les adolescents se sentent trop grands pour aller se coucher alors qu’il fait encore jour. Barthélemy, dans un fracas de bruit et de poussière, voit arriver en trombe, Jonathan, l’enfant terrible de la bande, sur une mobylette flambant neuf. Devant le regard émerveillé de Barthélemy, Jonathan fait un dérapage contrôlé et s’arrête net.

    - T’as vu ma trottinette ? Chouette, hein ?

   - Drôlement ! La chance !…mais tu ne la forces pas un peu ?

   - Ouais, je l’ai trafiquée avec mon cousin, pour qu’elle frôle le 70…

   - Mais dis donc, quel boucan, tu nous défonces les oreilles… !

   - Eh ben, c’est exprès ! Mon cousin Kévin, lui, il met de l’alcool dans sonessence pour pétarader plus fort…

   - Oui, cela tamuse, cest vrai, mais cela embête beaucoup de gens. Tiens, par exemple, les petits enfants narrivent pas à sendormir et Germain, lui, il travaille chez Renault, il doit se lever à 5 heures du mat, il voudrait pouvoir sendormir tôt

   - Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse…Moi, d’abord, il faut que je m’éclate…

Barthélemy n’ose pas trop contredire Jonathan qui le jugerait trop ringard

   - T’es quand même gonflé, mon vieux, les autres, tout de même, ça existe…

   - Et pourquoi ? Eux, ils s’occupent pas de nous ou alors que pour nous critiquer : et «fais pas ci» et «fais pas ça» et «tu devrais être gentil avec ta mère» et «n’énerve pas ton petit frère» et «ton travail à l’école est nul» et «tu vas voir, mon petit !…la vie va te dresser» et toute leur morale, moi j’en ai marre !…

   - D’accord, t’en as marre, moi aussi parfois, je m’ennuie à l’école, Mais, je réfléchis un peu. Tu vois, moi, c’est mon grand-père qui s’occupe de moi, ben il pourrait dire qu’il en a marre parce que c’est fatigant pour lui. Mais non, lui, il fait tout ce qu’il peut pour m’élever le mieux possible.

   - Moi, mes parents, ils sont séparés. La semaine chez ma mère, leweek-end chez monpère, enfin quand cela ne le dérange pas, surtout avec l’autre qui ne peut pas me voir. Je ne sais même plus quelle est vraiment ma maison. Alors ma mob, c’est tout pour moi.

   - Mon grand-père, lui, il dit que Dieu nous aime, qu’il nous a envoyé son fils Jésus, par amour pour nous, que Jésus est venu sur terre pour nous faire connaître le Père éternel, Celui qui a fait le ciel et la terre, qu’Il veut faire alliance avec les hommes et que nous sommes tous frères et que nous devons nous aimer les uns les autres. Tout cela c’est quand même super, c’est ça qu’on nous enseigne au caté.

   - C’est complètement idiot, dépassé, des histoires pour nous faire tenir sages et gentils alors que les adultes, eux, ne font que se jalouser se disputer, exercer leur pouvoir.

Moi, d’abord, le caté, il ne faut plus m’en parler, la Messe non plus, d’ailleurs. Moi, je suis de mon époque. Ma mob, çà c’est du réel, du concret, quand je la pousse à fond, je me défonce, c’est trop fort !

   - Ouais,  mais l’année dernière, quand Nicolas s’est jeté sous une moissonneuse et qu’il a eu une fracture du crâne, on n’était pas fiers. Rappelle-toi. On se demandait tous s’il s’en sortirait. Quand les gendarmes ont dû prévenir ses parents, nous étions tous en piteux état !

     A ce moment arrive Valentin, le petit dernier de Marcelline, la mercière :

   - Ah ben dites donc ! Vous êtes en pleine fièvre, les gars ! Quest-ce qui vous met dans ces états-là ?

   - C’est à cause de la mob de Jonathan. IL l’a trafiquée pour qu’elle soit plus bruyante ! Alors moi, je trouve que ce n’est pas tellement chouette !

            Valentin hésite, il ne veut pas passer pour un bébé :

   - Le bruit, cest marrant ! Enfin ça dépend Des fois, cest quand même un peu gênant, ça peut même faire mal aux oreilles, quand on a une otite, par exemple !

   - Ah toi aussi, tu trouves que ça fait mal ?

Hier soir, jai été au concert de musique baroque, à léglise. Cétait sympa : violoncelle et flûte à bec Eh bien, il y a une mobylette qui faisait le tour de léglise, on nentendait même plus la musique à lintérieur Les personnes qui voulaient écouter étaient furieuses, il y en a qui ont dit à monsieur le Maire que sa commune était dirigée par une bande dincapables et cela a provoqué une vraie dispute.    

On dit que la musique adoucit les mœurs, eh ben, hier, ce nétait pas le cas ! A la sortie du concert, cela a été un vrai règlement de comptes, la femme du maire pleurait, ma mère ne savait plus comment se sortir de cette situation embarrassante. Elle avait aidé à organiser la vente des billets pour rendre service et finalement tout le monde était mécontentelle a trouvé ça vraiment lamentable!

Jonathan ricane :

   - Tout ça pour une mobylette qui frime ! Mais cela ne m’étonne pas. Les vieux n’aiment pas les jeunes, ils veulent du silence. Nous on aime la vie, que ça bouge enfin…

Là-dessus arrive Nicolas :

   - Salut les amis, je parie que vous parlez de la dispute d’hier soir, provoquée par la mobylette pour le moins…pénible ?

   - Oui,répond Barthélemy, il y a eu des incidents vraiment regrettables pour la bonne entente de notre petite ville, des « incivilités », comme on dit maintenant.

   - Ecoutez les gars, tout ça sont des malentendus, des énervements idiots. Si on faisait quelque chose pour rattraper un peu cet incident ridicule…

      Barthélemy n’ose pas trop s’avancer mais il a une idée :

   - Mon grand-père, il est âgé et il n’a plus beaucoup de forces…

   - Et alors, qu’est-ce que tu veux qu’on y fasse ? dit Jonathan.

   - On pourrait peut-être lui donner un coup de main ?propose Nicolas.

   - Oui, il se tracasse parce qu’il voudrait repeindre ses colombages et qu’il a du mal à monter sur une échelle !

   - Bon ! S’il n’y a que ça, on lui repeindra pendant les grandes vacances.

   - Ouais,s’écrie Valentin, ce serait drôlement chouette, on s’amuserait bien, on pourrait mettre un échafaudage

   - Sûrement, reprend Nicolas, enchanté de cet élan spontané, je connais Monsieur Gatineau, le maçon, peut-être qu’il pourrait nous en prêter un…

     

Barthélemy revient à la maison .Grand-père l’attend :

   - Ah  mon petit gars ! Je commençais à m’inquiéter. Mais je voulais t’attendre avant d’aller me coucher.

   - Tu sais, grand-père, les copains, ils ont une idée géniale… Ils veulent repeindre tes colombages pendant les grandes vacances !

   - Ah ! Seigneur, les bons petits…Et moi qui les jugeais trop bruyants, je n’avais pas compris qu’ils sont plein de jeunesse, mais, au fond, ils ne sont pas  méchants !