5) L’accident

            Les deux premiers jours furent ceux de l’enthousiasme et de l’élan juvénile .Tous les habitants du village défilaient et apportaient leurs commentaires :

-  Eh ! Barthélemy, t’en as de la chance, d’avoir une telle équipe de copains !

-  C’est bien, les gars,  mais il faudrait décaper plus à fond !

-  Dites donc, l’enduit, faudrait peut-être le poncer avant de mettre la peinture !

            Jonathan rôde avec sa mobylette et commence à trouver que le jeu du « service rendu » est un peu long.

   - Nicolas, viens-tu à la piscine avec moi ?

  - Non, mon vieux, je commence seulement à mettre le blanc !

La mob décrit des cercles devant l’échafaudage, fait des dérapages de plus en plus serrés

   - T’es nul, par cette chaleur… Moi je veux aller à la piscine !

Une énième accélération de la mobylette, trop près de l’échelle de Nicolas et la roue arrière dérape. Patatras ! L’échelle perd pied, bascule, entraînant le pot de peinture blanche qui tombe à terre, dans une giclée de plusieurs mètres de large ! Jonathan, la mob, la chemise hawaïenne, tout est atteint. Les baskets sont remplies et, horreur,  le moteur est noyé !…

            Toinette, attirée par le fracas et les exclamations, se bat les flancs, d’autant plus que les carreaux de la maison sont maculés.

   - C’est-y pas possible, ma Doué ! C’est-y pas possible !

Jonathan est atterré et surtout vexé, d’autant plus qu’il est responsable de cette catastrophe.

Un grand silence suit ce moment désastreux. Les jeunes sont tous rassemblés, interloqués, autour de la tache se demandant comment éponger une telle quantité de peinture.

  - Eh bien ! Qu’est-ce qui vous arrive, les gars ? 

C’est le Père Gildas, le curé du secteur, qui les interpelle.

- C’est pas de ma faute, murmure Jonathan. Ils n’avaient pas attaché l’échelle, j’savais pas, moi, j’aurais jamais cru que cela aurait pu arriver... enfin j’voulais pas…

Le Père Gildas détend l’atmosphère par un grand éclat de rire :

 - Eh bien vous voilà plus blancs qu’après confesse ! Bon, allez, ce n’est pas un drame ! On va éponger tout cela. D’abord, on va mettre du sable, puis avec des vieux journaux, on finira en frottant avec de l’essence.

        Le Père Gildas a retroussé le bas de son pantalon et ses manches de chemise et le voilà qui prête son concours au ramassage du magma blanc avec une bonne humeur qui fait merveille. Le malheur est maintenant réparé, la glace est rompue. Une fois encore grand-père Antoine a réuni tout le monde autour d’un jus de fruit, dans le jardin, sous la tonnelle. Il est ravi de voir les jeunes réunis autour du Père Gildas qui prend la parole :   

   - J’étais venu vous proposer de participer au spectacle qu’organise le baron d’Estelin dans la cour de son château, pour la Saint Martin !

         Il s’agit de jouer un mystère du Moyen âge et nous avons besoin de figurants, jongleurs, musiciens, enfin, chacun selon ses compétences. Est-ce que cela vous plairait ?

   - Ouais, drôlement que cela nous plairait !

   - Si vous le vouliez, je vous ferais répéter vos rôles et je vous apprendrais les chants pour jouer les troubadours .Mademoiselle Yvonne vous ferait les costumes, enfin on essaierait de faire au mieux pour que cela soit présentable !

Tous, y compris Jonathan, se trouvèrent un talent pour quelque rôle. Et les imaginations les portèrent à connaître une fébrilité nouvelle.

            Les jeunes étaient enchantés de cette perspective et, plaisantant sur les divers rôles qu’ils pourraient choisir, remontèrent sur leur échafaudage pour se remettre au travail.

Grand-père Antoine était complètement submergé par tant de remue-ménage.

   - Monsieur le Curé, murmura-t-il, moi je veux bien les accueillir pendant le temps des travaux, mais calmez-les un peu !

   - Ah ! Père Antoine, j’ai mon plan, ne vous inquiétez pas.

Les gars, tout en maniant leurs pinceaux, chantaient à tue-tête leur joie de vivre. Les projets qu’ils imaginaient les mettaient dans un état d’excitation qu’ils ne contrôlaient plus très bien.

            C’est à ce moment précis que le tracteur du père Mathurin débouche du carrefour avec une remorque pleine de paille de la moisson et passe au niveau de la maison.

   - Chiche !crie Valentin

- Chiche ! répond Barthélemy et hop ils se jettent tous les deux sur la paille qui, mal arrimée, verse sur le trottoir…

            Valentin fait un vol plané et atterrit lourdement sur le trottoir d’en face.

   - Hélas, hélas, mon petit Valentin ! Toinette, affolée, s’était précipitée…

On le crut mort, on déplora ce geste insensé. Valentin s’en tira avec la jambe gauche cassée.

Grand-père Antoine se démenait dans tous les sens, atterré par cet accident stupide et inquiet de la responsabilité qu’il avait prise d’avoir accepté l’aide de ces jeunes fous. Le père Gildas regardant Antoine avec tendresse lui dit :

   - Les voies du Seigneur sont impénétrables…Ayez confiance, Il sait ce qu’il fait. C’est dur, parfois, mais la sagesse s’acquiert par l’expérience. Cette épreuve est sans doute nécessaire…