6) Les conséquences d’un accident.

            Cet événement qui n’était pas vraiment grave changea beaucoup de comportements dans le village.

Dans la journée, on traînait Valentin sur une brouette aménagée en civière afin qu’il puisse profiter de la vie de la petite équipe.

Grand-père avait préparé un divan dans la salle à manger pour allonger le pauvre enfant condamné à l’immobilité pour le reste de ses vacances.

Chacun rivalisa d’ingéniosité pour le distraire.

Nicolas, comme d’habitude, eut la sagesse d’organiser un plan de journée.

- Toi, Jonathan, tu vas lui lire une histoire !

Jonathan avait un don pour la comédie et se contorsionner pour prendre des postures suivant les situations à représenter.

- Ah, oui je veux bien. Qu’aimerais-tu Valentin, comme sorte d’histoire ?

- Je ne sais pas, dit Valentin, ce que tu aimes, toi !

            Jonathan apporta son livre des Fables de La Fontaine et se mit en devoir de les interpréter :

Le coche et la mouche

 

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé

Et de tous les côtés au soleil exposé

Six forts chevaux tiraient un coche.

Femme, moine, vieillards, tout était descendu.

L’attelage suait, soufflait, était rendu.

Une mouche survient, et des chevaux s’approche,

Prétend les animer par son bourdonnement,

Pique l’un, pique l’autre, et pense à tous moments

Qu’elle fait aller la machine,

S’assied sur le timon, sur le nez du cocher.

Aussitôt que le char chemine,

Et qu’elle voit les gens marcher,

Elle s’en attribue uniquement la gloire,

Va, vient, fait l’empressée : il semble que ce soit

Un sergent de bataille allant en chaque endroit

Faire avancer les gens et hâter la victoire.

La mouche, en ce commun besoin

Se plaint qu’elle agit seule, et qu’elle a tout le soin ;

Qu’aucun n’aide aux chevaux à se tirer d’affaire.

Le moine disait son bréviaire ;

Il prenait bien son temps !

            Les copains font cercle autour du lit de Valentin. Jonathan caricature les héros de la fable. Tous sont enchantés de le voir singer le moine lisant son bréviaire, essayant de chasser la mouche obstinée. Valentin pleure de rire et Grand-père Antoine pleure de bonheur de voir Jonathan enfin occupé à distraire le petit accidenté.

   - Seigneur, nous ne comprenons pas tes desseins. Pardonne notre manque de confiance, mais je suis sûr que tu nous aimes.

            Toinette arrive à ce moment avec un verre rempli de jus de poires qu’elle a confectionné avec les fruits du jardin en les pressant dans une mousseline :

   - Tiens, mon petit Valentin, reprends des forces !

            Les copains rient sous cape de voir Toinette combler son petit protégé.

            C’est alors qu’arrive Sonia.

   - J’ai entendu dire que tu es ici Valentin, je suis venue te dire que je suis navrée de ce qui t’arrive .J’ai trouvé une Suite pour violoncelle et orgue de Caix d’Hervelois, j’ai apporté la partition pour que tu la regardes un peu mais il faudra attendre un moment avant que tu puisses la jouer !

   - Sonia, je suis vraiment content que tu viennes prendre de mes nouvelles. C’est gentil à toi. Pour l’audition que nous devions faire ensemble, on verra ça plus tard, hélas. Mais toi-même que travailles-tu en ce moment ?

Les copains étaient interloqués et secrètement ravis de voir la belle Sonia toujours si distante, se dégeler un peu et affronter leurs regards moqueurs.

   - En ce moment, je déchiffre un choral extrait de la Cantate 147 de Bach, « Jésus que ma joie demeure ! »

   - Ah ouais, ça on connaît, c’est trop fort ! Si on allait tous à l’Eglise, tu nous le jouerais ?

Jonathan, dépité de voir l’attention se détourner de lui, ne put s’empêcher de dire :

   - C’est nul la musique d’orgue, moi j’aime que le hard rock !

On remit Valentin sur sa brouette et tout le monde partit vers l’église. Monsieur le curé était au presbytère, on lui demanda les clefs, il fut consentant et aida Valentin à franchir les marches du parvis et l’installa sur un banc.

Sonia mit le moteur en marche, un affreux cornement se fit entendre.

- Ah, dit le Père Gildas c’est l’humidité et, en riant, leur lança plaisamment : à moins que ce ne soit encore une facétie du petit violoniste ! Il aime interférer pour gêner les personnes qui entrent dans l’Eglise, si quelquefois elles avaient eu l’intention de prier le Seigneur qui les y attend !

Sonia qui avait l’habitude des caprices de l’orgue actionna quelques tirasses et le cornement s’interrompit enfin pour laisser place à la musique de Jean-Sébastien Bach.

Les copains furent saisis par la beauté des sons de l’instrument à tuyaux qui trouvaient leur résonance dans les voûtes de leur belle église. Le soleil passait à flots dans les vitraux jouant de leurs couleurs sur les dalles du pavé.

Un grand moment de paix les saisit. Le Père Gildas en profita pour leur expliquer quelques scènes bibliques décrites par les vitraux et sentant l’atmosphère propice au recueillement et à la ferveur, il leur chanta un cantique de l’Ancien Testament[1]

Béni soit l’homme

qui s’appuie sur le Seigneur

le Seigneur sera son appui

 

Il sera comme l’arbre

planté près des eaux

qui pousse, vers le courant, ses racines.

 

Il ne craint pas

quand vient la chaleur

son feuillage reste vert

 

L’année de la sécheresse,

il est sans inquiétude

Il ne manque par de porter son fruit.

 

Sonia avait discrètement accompagné la psalmodie du prêtre avec un jeu de fonds.

Lorsqu’ils sortirent de l’Eglise, les jeunes ne pouvaient plus parler, l’émotion avait été trop forte. Jonathan, bouleversé murmura :

-C’était super !

            Nicolas dit au prêtre :

   - Ce serait bien qu’on recommence une séance comme celle-ci !

     Le prêtre répondit :

   – Si cela vous faisait plaisir, je pourrais vous emmener à Saint Wandrille, car les moines prient comme cela six fois par jour.

   - Ce serait … génial ! dit Valentin… Vivement que je sois guéri…

 

 



  1. [1] Jr 17, 7-8